Des jeux vidéo en français, une rareté au Québec



Dans l'univers de la francisation des produits culturels au Québec, les jeux vidéo font cavalier seul. Les versions françaises de ces divertissements électroniques sont en effet difficiles à trouver dans les commerces, en dépit de la loi, a observé Le Devoir. Une carence que confirme l'Office québécois de la langue française (OQLF), qui a vu dans les dernières années les plaintes contre l'unilinguisme anglophone des ludiciels dépasser de loin celles sur l'affichage.

Si Les Incroyables, Bob l'éponge ou Rodney du film d'animation Robots maîtrisent très bien la langue de Molière -- ou de Nelligan -- au petit et au grand écrans, sur console de jeux GameCube, PlayStation 2, XBox et Gameboy Advance, c'est effectivement une autre paire de manches. Et la remarque vaut aussi pour le plombier dans Mario Party 6 ou les héros de la Guerre des étoiles qui s'adressent tous à leur nombreux inconditionnels québécois... en anglais seulement.

L'unilinguisme est contagieux. Sur une centaine de titres passés au crible dans les commerces, près de 80 % d'entre eux s'illustrent en effet par leur version francophone inexistante, au Québec du moins, a constaté Le Devoir au terme d'une visite effectuée la semaine dernière dans dix grandes surfaces de l'électronique, magasins à rayons et commerces spécialisés dans la vente de ludiciels à Montréal. Cette proportion atteint presque 100 % dans le cas des jeux offerts pour les plates-formes GameCube de Nintendo et PlayStation 2 de Sony, alors qu'elle descend à environ 50 % pour ceux conçus spécifiquement pour des ordinateurs personnels fonctionnant dans un environnement Windows.

Fait étonnant, plusieurs titres traduits en français pour les ordinateurs personnels -- comme Robots, Les Simpsons, Les Sims ou Le Seigneur des anneaux -- semblent cantonnés à l'anglais en format pour console de jeux.
Autre surprise : une promenade dans des commerces en ligne de ludiciels évoluant dans d'autres zones culturelles francophones permet de constater que ces jeux existent pourtant bel et bien en version française : Les Incroyables (étrangement baptisés Les Invincibles en Belgique, en Suisse et en France), Bob l'éponge (connu dans l'univers du jeu vidéo au Québec sous le seul nom de SpongeBob SquarePants) et Mario (Super de son prénom !) en témoignent en adaptant leur mode de communication en fonction de leur public lorsqu'ils prennent racine dans le monde du divertissement numérique hors des frontières canadiennes.
Or la Charte de la langue française devrait contraindre ces personnages imaginaires à en faire tout autant ici. «Un logiciel ou un ludiciel doit être offert en français au Québec lorsqu'il en existe une version française ailleurs dans le monde, explique Gérald Paquette, porte-parole de l'OQLF. Cela n'est malheureusement pas toujours le cas. Actuellement, près de 75 % des jeux vidéo possèdent des versions françaises en Europe, mais seulement 10 % sont disponibles ici.»
L'Office a d'ailleurs mis ce secteur culturel, le plus important du monde en ce qui a trait aux revenus générés, devant le cinéma (marché secondaire exclu) et la musique, sous surveillance. Chaque mois, l'état de francisation des 10 titres les plus populaires est mesuré. Les résultats font écho à ceux obtenus par Le Devoir.

En mars 2005, par exemple, les 10 premiers jeux pour GameCube étaient à 100 % anglophones, indique l'OQLF. Les trois quarts de ces jeux existent toutefois en version française ailleurs dans le monde. Pour PlayStation 2 et XBox, l'unilinguisme anglophone est perceptible respectivement dans 90 % et 60 % des cas, et ce, même si, là encore, la grande majorité de ces divertissements existent à d'autres endroits sur la planète dans la langue de chez nous. Surprise également : le jeu de guerre Brother in Arms, de la multinationale française Ubisoft, est offert dans la langue du général Cambronne en France, mais reste anglophone au Québec.

«La francisation de nos jeux est une priorité», a commenté hier Pierre-Paul Trépanier, directeur du marketing chez Nintendo Canada, joint par téléphone au siège social canadien de Vancouver. Selon lui, à ce jour, sur la centaine de jeux sur les présentoirs, près de 50 % seraient d'ailleurs offerts en français. Un chiffre que l'enquête mensuelle de l'OQLF, tout comme la compilation effectuée par Le Devoir, ne peut pas confirmer.

«La division canadienne de Nintendo fait beaucoup de lobbying en ce moment au sein de la multinationale pour accroître le nombre de titres en français, ajoute-t-il. Normal. Vingt-cinq pour cent du marché canadien est francophone. Mais cela prend du temps avant de faire bouger une grande structure comme la nôtre.»

Pour les éditeurs de ludiciels, l'unilinguisme s'explique par une «question de timing», dit M. Trépanier. «Les jeux sont d'abord lancés au Japon en japonais, ensuite en Amérique du Nord en anglais et parfois, bien des mois plus tard, en Europe dans d'autres langues. Les traductions françaises prennent donc plus de temps à arriver sur le marché», et cette lenteur, estime-t-il, ne doit pas pénaliser les consommateurs québécois qui, de par leur localisation géographique, ne peuvent être exclus du marché américain.

Tout au plus, les fabricants présentent donc leurs produits dans des emballages bilingues avec livrets d'instruction en français, comme le prescrit la loi. Cette règle semble d'ailleurs la plus facile à respecter : près de 98 % des jeux examinés y étaient en effet conformes.

«Il est difficile d'avoir une attitude répressive pour le contenu francophone des jeux, avoue M. Paquette, car les commerçants seraient visés, alors que ce ne sont pas eux qui sont entièrement responsables. Nous préférons faire de l'éducation en incitant les consommateurs à exiger des versions françaises lorsque celles-ci existent.»

L'étude sur l'offre de jeux vidéo en français au Québec, mise à jour chaque mois dans la vitrine réticulaire de l'Office, vise d'ailleurs, selon le porte-parole, à inciter les consommateurs à faire des pressions, état de la francisation en main, sur l'industrie afin d'exiger les versions en français. Deux cent cinquante-trois d'entre eux sont également allés plus loin en portant plainte officiellement contre les éditeurs de jeux récalcitrants, indiquent les données compilées par l'OQLF depuis novembre 2003.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire